Cette conférence a été présentée par Jacques Bertin au festival Barjac m'en chante, le mercredi 2 août 2017 




 

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Vasca Ferrat
Avec Jean Ferrat
Bertin et Vasca au Printemps de Bourges
Avec Jacques Bertin
photo : Christian Queuille
Vasca Nougaro
Avec Claude Nougaro

Vasca


1998









Jacques Bertin - Évocation de Jean  VASCA
Cette conférence a été présentée par Jacques Bertin au festival Barjac m'en chante, le mercredi 2 août 2017, devant un public de 160 personnes.


 En commençant, on écoute une chanson par lui (Nous n'avons de châteaux)


Ceci est une évocation biographique de l'ami Vasca, décédé en décembre. Ce n'est pas un « spectacle », comme on l'a annoncé parfois. Non ; c'est un salut partagé avec vous, et envoyé dans les nuages ; et sans prétention critique. Juste la réponse à une question : C'était qui, ce gars-là ?

Ce gars qui écrivait :

je suis né d'un hiver convulsif
aux crinières de sel
j'ai dans la tête le totem criard du délire
dans les membres la cruauté des busards
les bombes du gel plein les poches
je rue dans les brancards de la solitude     

...dans un de ses premiers poèmes publiés (Jaillir 1969)

et aussi :

je voudrais planter la hache des mots
dans l'arbre sans nids des indifférences
je voudrais flamber de tous mes fagots
jusqu'à n'être plus que cendre et silences


et aussi :

si j'ai fait chanteur paroles et musique
c'est qu'depuis toujours j'ai l'écharde au coeur

et :

des mots jetés sur la guitare
comme de l'huile sur le feu...


...et qui était depuis cinquante ans mon ami.

 
Son nom était Jean Stievenard. Il était né en 1940 à Bressuire (Deux-Sèvres), lors de la débâcle. Il passa son enfance à Charleville. Son arrière grand-père avait été député-maire de Charleville, socialiste. Parents divorcés, enfant unique élevé par sa mère (fonctionnaire), vacances à Paris...

Puis : 1955 : Paris, lycée Buffon. Un été : colonie de vacances avec le Père Duval ! Info, pour les plus jeunes du public : Aimé Duval, prêtre et ACI, fut une vedette de la chanson – Seigneur, mon ami… Qu'est-ce que j'ai dans ma p'tit' tête… - Le ciel est rouge – Rue des Longues haies etc. Il fut cité par Brassens : « je vis en bonne entente / avec le père Duval, la calotte chantante »

Vasca fait Khagne et Sorbonne – mais il ne finira pas la licence de lettres. Il est pion au lycée Henri IV et au lycée Charlemagne.
 

Jean Vasca (1963)
Jean Vasca 1963
Il découvre alors un bistrot, rue du Pot de fer, dans le quartier Mouffetard : Chez Paul. Il commence à chanter là (du Ferré et un peu de lui) (1960).

Il produit brièvement une émission mensuelle, à Strasbourg (à la radio publique de l'époque), sur la poésie et la chanson : « Présence du verbe » (62-63).

Mais surtout : il chante chez René-Louis Lafforgue, à l'Ecole buissonnière, rue de l'Arbalète – toujours quartier Mouffetard. Passaient là Pierre Louki… Paul Préboist… Lafforgue, célèbre pour Julie la rousse et quelques autres « succès », sera son premier interprète.

On passe le début de la chanson : Les fabuleuses, de Vasca, par Lafforgue.

Puis à la Maison pour tous de la rue Mouffetard, Jean est invité et produit par Georges Bilbille, le directeur. C'est là qu'il choisit son nom, Vasca. Pourquoi Vasca ? Stievenard était trop long pour l'affiche ! Alors, il pioche celui-là dans une nouvelle qu'il venait d'écrire – c'était le nom du clochard.

La Maison pour tous de Mouffetard est un lieu extraordinaire d'animation socioculturelle du quartier – avec un théâtre de 150 places environ, très vermoulu, théâtre qui a été très important dans l'histoire de la chanson, que j'ai moi-même loué plusieurs fois, plus tard. Le quartier, jusqu'aux années soixante fut un des quartiers pauvres de Paris (ce qui, avec la proximité du monde étudiant et intellectuel de St-Germain, à quelques centaines de mètres, avait favorisé l'existence des cabarets puisque l'immobilier n'était pas cher !) La Maison pour tous fut démolie lorsque Mouffetard devint le quartier de la bourgeoisie bobo – à la fin des années soixante-dix...

Puis il se présente à la Colombe, chez Michel Valette – dans l'île de la Cité. Là, il rencontre Henri Gougaud qui vient auditionner en même temps que lui ! (Il est « un explorateur du cosmos intérieur…  un des grands poètes de notre temps »  dira Henri Gougaud)

En 1963, il fait des poèmes électroniques : textes dits et chantés par lui sur des bandes préenregistrées d'André Almuro. (C'est de la « recherche », on disait… J'en ai retenu beaucoup moins que du père Duval...)

Il devient chanteur à plein-temps en 1964. « La chanson est le bras armé de la poésie ! » dira-t-il un jour. Pas mal.

1964 : premier disque (25 cm Polydor) arrangements Jacques Mallebay et Barthélémy Rosso. Voici le dithyrambe de Luc Bérimont «  La moindre notation de Vasca, par sa vigueur et sa vitesse, dépasse de cent coudées ce que les patentés de la poésie professionnelle osent en volume. » Bérimont parle aussi de « prince » et de « chefs d'oeuvres ». Pour les débarquants : Luc Bérimont, poète et écrivain était alors un homme de radio célèbre – il inventa notamment la Fine fleur de la chanson, émission à succès...

En 1952 avait été créé, au 42 rue Descartes, toujours à Mouffetard, le club Plein vent, par Gilbert Imbar. A peu près en face de la maison où vécut Verlaine. A partir de 1964, on y organise : les Lundis de la poésie sous l’égide de Pierre Seghers et de Luc Bérimont, et les Veillées de la chanson patronnées par Jean Vasca, des soirées de chanteurs. Il y a une revue, Guitare et musique, où Vasca tient la rubrique chanson et poésie. Un éphémère Prix Henri Crolla  y sera décerné successivement à Jean Ferrat (1964), Jean Vasca (1965), Jean Sommer (1966) et François Nery (1967). Puis le club Plein vent  fermera en 1969.
 
Le Vasca, maintenant, fait les cabarets : la Contrescarpe (chez Arlette Reinerg) - la chanson Galande - Chez Georges  (il passait après Paul Villaz, et c'était comme si ce dernier lui avait préparé l'atmosphère,  disait-il) - les jeudi de la Closerie des lilas (au 1er étage) - l'Ecluse - la Vieille grille - puis le Bateau ivre... 
 
Le Bateau-Ivre fut d'abord à Saint-Germain. Le patron était Pol Serge, lui-même chanteur.  (Moi, Vasca me présenta à Pol Serge qui ne m’engagea pas. Puis plus tard, le Bateau étant alors rue Descartes, sur la Montagne Sainte-Geneviève, donc à Mouffetard, il m’engagea).

Témoignage personnel : Nous étions payés 20 francs par passage (chez Georges, c’était 30). Il y avait Jacques Doyen, David et Dominique, Francisco Montaner, Didier Kaminka, Jo Schmelzer, Jean Vasca, j'en oublie…


(Moi, je n’aimais pas ça, le cabaret. Allai-je devenir un chanteur de cabaret, passant quarante ans de sa vie à quotidiennement « faire ses ménages », comme disait Vasca ?  Plutôt tout arrêter. Un jour, je demandai une augmentation. « Si je t’augmente, dit le gérant, un brave type, aussi, par ailleurs, je dois augmenter tout le monde… - C’est bien comme ça que je le vois, répondis-je. Et je me doutais de la suite : il refusa, je démissionnai. Je ne fis plus jamais de cabaret. Aucun regret.)

Ici, un mot sur les cabarets. Il y eut la première Rive gauche, après guerre, principalement à Saint-Germain des prés. (L'Ecluse, la Colombe, Chez Georges, la Rose rouge, le Port du salut et caetera.)

...et à la fin des années 60 et début années 70, il y eut une deuxième rive gauche, celle de Mouffetard (une quinzaine de cabarets !) Celle-ci, on n'en parle jamais. 

Le métier de chanteur est un métier de solitaire ; en principe, on ne se rencontre jamais ; on ne forme pas des bandes ; contrairement à la musique ou au théâtre ; et c'est sans doute une des raisons pour laquelle, faute de rapports de force, de système de groupes, la chanson n'existe pas dans la politique culturelle… Or les cabarets permettent aux artistes de vivre, de se faire un peu connaître. Mais aussi de sortir de la solitude du chanteur : tous les soirs la rencontre des collègues ! Important pour l'oeuvre elle-même, pour la réflexion sur notre art et sur son rôle social etc. Et pour la joie, j'en reparlerai plus loin.
 

Retour à Vasca. Il rencontre Annie en 1969. Ils ont vécu dans le quartier de la gare de l'Est et à Tharaux (Gard) (maison secondaire depuis 1971) et enfin Rivières de Theyrargues.

Ici, nommons les amis que Vasca cite dans la préface de son anthologie poétique La concordance des chants, dont nous reparlerons : Luc Bérimont, Michel Lancelot (qui le diffusait régulièrement sur Europe 1 - émission Campus), André Almuro, Max Pol Fouchet (vedette littéraire de l'époque), Jean-Louis Foulquier, Jean Monteaux (journaliste connu), Fred Hidalgo (la revue Paroles et musique), Jean-Pierre Nicol (auteur du seul livre qui lui soit consacré), Mimi Rosso (le guitariste de Brassens - il n'écrit pas : Barthélémy), Michel Devy et Robert Suhas (ses orchestrateurs), André Belleguie (son maquettiste attitré)...

...et ceux qu'il cite dans « mes folles années » - sur le CD L'auberge du temps perdu (2013) :

mes folles années courent la rue Mouffetard
on vivait alors au coeur du poème

... temps des cabarets qui firent l'histoire
de cette rive gauche à coups de guitare
Villaz et Marchais, Riffard bon apôtre
La s'rise et Laloux et tant et tant d'autres...


La s'rise, c'est Jacques Serizier ; Laloux, c'est Daniel Laloux, qui chantait en s'accompagnant avec un tambour !

Enfin, il y aura cette chanson - Dans les rues de ma vie – dans un CD de 2010, où il cite (par leurs seuls prénoms) ses amis chanteurs morts : Alain Clavier, Bernard Haillant, Claude Nougaro, Giani Esposito, Gilles Elbaz, Jacques Douai, Jacques Marchais, Jacques Serizier, Jean Ferrat, Jean-Luc Juvin, Jean-Max Brua, Léo Ferré, Marcel Mouloudji, René-Louis Lafforgue, Christine Sèvres, Colette Magny, Monique Morelli.
 

On passe une chanson par Jacques Marchais (Pour un printemps)
Vasca - Ferré
Jean Vasca et Léo Ferré

Il fait un 33 tours à la BAM (la Boîte à musique – qui deviendra un peu plus tard les disques Alvarès : Albert et Odile Lévi-Alvarès, couple remarquable d'intelligence et d'honnêteté) ; un disque chez Festival (avec Claude Dejacques – grand directeur artistique d'alors).

Premier recueil chez Pierre-Jean Oswald en 1969 ; Jaillir. Je dirai : expression de la force vitale  et du désir…

Il participe aux Jam-sessions de Luc Bérimont. (Un mot d'explication : quatre ou cinq chanteurs sur scène, on choisit un thème et les chanteurs doivent l'un après l'autre suivre le thème – ou la variation du thème par le chanteur précédent.)

Il chante pour la FOL (Fédération française des œuvres laïques) (il ne fit pas les Centres de vacances d'été : une seule expérience – pénible… les enfants qui courent et qui crient...), les MJC (un mot sur les MJC : leur rôle immense, dans la décennie 70, qui restera dans l'histoire de la chanson).

Jacques Serizier  : « Je pense avoir été le premier à programmer Béranger sur un poste périphérique et Vasca ». C'était sur Radio-Luxembourg (autrement dit RTL) dans les années 70… (p. 146 du livre de Nathalie Solence Mes années Serize - l'Harmattan)
 
Il est plusieurs fois cité dans le livre de Christian Hermelin Ces chanteurs que l'on dit poètes  (éditions L'école des loisirs – 1971) Notons la date : 1971. Il suivait, Hermelin !

Puis, voilà l'époque où l'on se retrouve le soir au Navigator. Le Navigator, une crêperie de la rue Galande tenue par Michèle Baylet et Christian Renaud. Eve Griliquez y fait ses émissions  (Libre-parcours, sur la radio nationale) en public au sous-sol. Le lieu devient un rendez-vous de la chanson et du jazz. Levallet, Kessler, parfois Schmelzer… d'autres et... nous cinq : Elbaz : « je suis un juif normand » - Brua vient de Provence – Bertin de Rennes – Juvin est Parisien, je crois (il avait commencé en duo – Georges et Jean-Luc – avec Georges Begou, plus tard journaliste télé célèbre). Les cinq, j'en reparlerai  plus loin.

Puis 1972 : Vasca passe alors au Tripot, créé par Corine Léonet (avec Gérard Le Cardinal et Stéphan Meldegg) rue Quatrefages (5ème arrt), près de la Mosquée, en bas de Mouffetard. Corine deviendra plus tard notre agent, avec Marie Castets comme assistante.

Mais là, c'est l'apothéose du yé-yé – le système du matraquage, lié à la consommation massive de disques, à cause des postes à transistor, des juke-boxes, du développement de la télé etc. La variété n'est plus l'expression populaire mais, par le star-system, elle devient l'opium du peuple : production de clichés matraqués de façon à obtenir une vente massive en temps bref. Aucune opposition des milieux politiques de gauche ni d'extrême gauche ni de l'intelligentsia au système de l'industrie culturelle ! Pis encore : l'esprit post-68 ce sera le ralliement des gauchistes à la société de consommation, la haine du peuple (le français) et de la France par l'intelligentsia…  et donc vive « la musique » et la musique anglo-yankee ! 

Nous, nous sommes ailleurs – et de plus en plus. Lui est refusé par toutes les maisons de disques en avril 74, alors il produit lui-même (grâce à Patricia Scott-Dunwoodie) ; titre de la marque : Emilhenco. L'autoproduction va sa généraliser. Ca ne se faisait pas, jusque là. Les premiers furent Béart et Mouloudji, sauf erreur. Puis nous tous, l'un après l'autre, à mesure que le Métier s'éloignait de nous.

Il passe à l'Olympia un soir (produit par l'Olympia).

Il chante un mois à la Pizza du Marais dirigée par Lucien Gibara, qui dirigea plus tard la Cour des miracles avec Joseph Sandor – et mourut dans l'explosion de sa voiture (aucun rapport...)

Il rencontre François Dacla, alors directeur de RCA – qui créera plus tard les disques EPM (les initiales de Et puis, merde !, titre trouvé par Léo Ferré…) Chez RCA, Dacla lui produit six 33 t de 1975 à 1980 ! Studio Davout (orchestrations et direction d'orchestre : Michel Devy) -  les grands moyens !

En 1976, il refait un Olympia. En 1978, le Théâtre de la ville - 5 jours.
Vasca, 1978, Théâtre de la VilleThéâtre de la Ville, 1978


La bande des 5
"La bande des 5"
Je reviens aux 5, pour évoquer un grand moment de la culture du XXème siècle, les « rencontres de Tharaux » : Elbaz, Brua, Juvin, Bertin, Vasca, été 76 et été 77, trois jours de palabres… C'est Vasca qui en prend l'initiative – et qui nous héberge ! Jean Lapierre, lui-même chanteur, puis le peintre lyonnais Jacques Oudot, sont embauchés comme modérateurs. Je n'ai jamais entendu dire qu'ailleurs, à n'importe quelle époque, cinq chanteurs se soient réunis pendant plusieurs jours pour réfléchir ensemble sur leur art. Evidemment, on réfléchit, on discute et on s'amuse comme des fous ! Attention : ce n'est pas un groupe constitué ni une « école » au sens littéraire ou peinturlural ; pas de théorie commune ni de règles à respecter ; juste une bande de copains. Le « cinq-posium », comme a dit l'un de nous (j'ai oublié lequel...)

Plus tard, Vasca nous envoie le script (85 feuillets...) de nos entretiens ! Bien sûr, ce n'est pas publiable, mais je l'envoie à un éditeur – qui, par ailleurs me doit beaucoup… - en pensant qu'il va dire : il faut travailler ce sujet. Mais : aucune réaction. Tant pis.



Vasca est syndiqué. Au SFA, Syndicat français des artistes (CGT) : très représentatif chez les comédiens – pas chez les chanteurs…. Vasca et moi y étions militants. La scène la plus rocambolesque fut la scène du bombage  - qui en dit long sur nos préoccupations de l'époque, celui que nous fîmes, une nuit, en 1980, des façades de quatre des grandes maisons de disques : Barclay, Phonogram, Pathé et Polydor (sauf erreur de mémoire sur les deux derniers. Je crois que l’un de ces deux derniers étant dans une rue trop passante, vers Montmartre, nous renonçâmes une fois sur place.
 
Nous étions huit. Dans mon souvenir il y avait : Vasca, Elbaz, Michel Devy, Schmelzer, un couple de chanteuses, Marc Noizée, fort sympathique curé-chanteur bordelais, aujourd'hui décédé... Un autre encore en vie. Certes, il y a prescription mais nous tairons le nom.
 
Rendez-vous de départ fut donné à la Chope, le bistrot de la place de la Contrescarpe. Le slogan à bomber était : « contrats d’artistes-contrats d’esclaves ». Le but était de provoquer un scandale et d’ainsi peut-être mobiliser quelques journalistes et quelques autres chanteurs, bref, une provoc.

Quelques jours plus tard, le syndicat (SFA) reçut une lettre officielle de protestation du SNEP  (syndicat patronal). Nous avons répondu, en tant que le syndicat, en déplorant de tels agissements, naturellement.

Malheureusement, il n'y eut aucun écho ; ça s’arrêta là. Question : en 2016 - était-il toujours syndiqué ? Oui. Il payait toujours sa cotise...


On passe une chanson (Christine Sèvres , Vivre en flèche).


77 : Il obtient le Grand prix de l'Académie du disque pour Célébrations.

Puis le festival de Tharaux :
- à la fin du « cinq-posium », on chante tous les cinq dans la cour du « château des Suisses », des voisins.
- puis cinq ans à Tharaux, Jean, Annie, Josette et Jean-Claude Garcia créent une association "Rêve ou Meurs" et organisent des soirées… Pedro Aledo, Ogeret, Bertin, Elbaz, Brua etc.

Puis quelques années rien.
 
En 92 : premier festival de Barjac (5 jours). Passeront : Bernard Haillant, Michèle Bernard, Jacques Bertin, Marc Ogeret, Bernard Joyet et Rollmops. Organisé par Vasca et Edouard Chaulet, avec Philippe Régineau, le technicien.

Jean et Jofroi reprennent le festival en 1996. Puis ils se fâchent en 98 ; Jean et Philippe arrêtent.
 
Il obtient le Prix du disque de l'Académie Charles Cros en 1980.

En 82, il s'achète un matériel de sonorisation, parce qu'il en a marre de risquer de tomber sur une sono pourrie. Moi, à cette époque, je tourne avec un sonorisateur. Il faut raconter ; c'est historique : l'employé municipal, qui sonorise les réunions et spectacles – avec la sono Bouhier, une marque de sonos de kermesse… Il n'est pas sonorisateur, il est le technicien municipal, il monte la sono et s'en va continuer sa journée en tondant la pelouse de la mairie… Ca durera jusqu'aux années 90, environ. Puis les sonorisateurs seront des spécialistes formés, équipés, compétents…

Autoproduction de ses disques à partir de 84.

Jacques Chancel lui fait faire une Radioscopie (mars 1980) et il participe à un « Grand échiquier » !

Dans le livre qu'il lui a consacré, Jean-Pierre Nicol parle d'un passage à TF1 en 84, où Jean s'oppose à une dame connue (Paulette Coquatrix, compagne du patron de l'Olympia) qui dit « Il n'y a pas de talents méconnus »… (Là, je rappelle ce que m'avait dit Faivre d'Arcier, Directeur du théâtre et des spectacles, au Ministère, à propos des chanteurs : « S'il y avait quelque-part en France un talent méconnu, mes inspecteurs me le signaleraient ». Véridique ! Je jure !)

90 - Ogeret chante Vasca - produit par Luc Vidal (éditions du Petit véhicule – à Nantes).

On passe Aimer - par Marc Ogeret


Un texte un peu surprenant : 17 janvier 91, à propos de la guerre du Golfe ; un texte anti guerre (la guerre contre Sadam Hussein), assez inhabituel chez Vasca. Inhabituel, comme La p'tit' bébète immonde, sur le retour de l'extrême-droite dans un disque de 1996 (dans En attendant les orages). Inhabituel, quoique son engagement anti-société augmente dans ses textes, avec les années.

Habituellement, Vasca « s'applique à mettre son grain de sel dans l'infini » dit joliment Marie-Odile Dupé dans Politis, en 91.

Il est cité, bien sûr, dans tous les livres sur la chanson. Il est qualifié en trois mots par Lucien Rioux (journaliste chanson du Nouvel Observateur) dans 50 ans de chanson française (l'Archipel – 92) : « Coléreux, rebelle imprécateur ».


Disons un mot sur sa poésie. Je dirai seulement que dans ses poèmes, il se fout pas mal du conformisme et du formalisme de la poésie dite « contemporaine ». Lui, c'est un déferlement d'images, la vie surgissant de partout, surgissement de l'être, désir d'être, d'être plus, pas de personnage, pas d'histoire. Parfois, rarement, la silhouette d'un ami (Léo Ferré). On ne comprend pas tout, disent certains – moi, si, et sans même réfléchir. Il faut seulement être ouvert au langage imagé ! En réalité, je crois qu'il déteste l'hermétisme et n'accepte pas les modes, le formalisme, le conformisme de la poésie contemporaine. 

Il dit : « Dans la chanson le travail de façonnage est plus long et délicat. (…) Le poème m'est donné mais la chanson se gagne » Et aussi : « la mise en musique ne commence pas par la mélodie, mais par le rythme, le phrasé du texte : c'est sur une rythmique et des harmonies que les choses se font » . En cela, nous sommes semblables – et je crois que le premier à avoir fait cela – partir du rythme du vers - c'est Léo Ferré. Avec des vers longs. (Voir aussi le mélange des deux styles par Barbara dans Dis quand reviendras-tu ? par exemple.)

« Au départ, il n'y a jamais de thème dans mes chansons », dit-il à Fred Hidalgo en 1982. Néanmoins, il dira aussi : deux thèmes principaux dans mes chansons : le thème de la nature (au sens des éléments fondamentaux) et le thème de l'amitié.

Et certaines chansons sur un thème : le mistral, par exemple. Ou un bestiaire d'insectes, en 1982..., Mais c'est rare. Et même un plateau de fruits de mer ! (...Ou même à la fin – dans Saluts ! - sur « les ringards du globish » - ou sur la stupidité de la civilisation technolo-contentepourelle).

Il est vrai qu'en avançant vers la fin, le sujet de la fin devient de plus en plus présent… Et celui du passé...

Jean VascaOpposition au système ? Sa présence au syndicat l'exprime assez. Le système, c'est la production de clichés m atraqués de façon à obtenir une vente massive en temps bref. Puis il y a le système au plan idéologique : faux rebelles dociles et interchangeables dont la société dominante a besoin. Je pense absolument que Vasca n'aurait jamais accepté de devenir un tel personnage, réduit à une image consommable.

Donc, le refus des règles du chaubize, exprimé dans plusieurs chansons – et celui des règles du système politico-médiatique : les faux-culs de l'air du temps (l'air du temps, c'est le médiatisme...)
 
« ...En marge des Sorbonne et des Shobiz... » écrit-il dans la première phrase de la préface de ses œuvres complètes. Ca dit bien. Il n'est d'ailleurs pas cité dans les anthologies poétiques contemporaines… Le fait qu'il soit aussi chanteur l'interdit, j'imagine...

De l'humour ? Plutôt une note sarcastique, parfois. De la distance vis à vis du monde et de lui-même… De l'humour quand il écrit : « J'attise the question » - ce mot-là, je le lui envie.


Je lis un poème de Vasca : Salut soleil !


Dernière rencontre (manquée) à Roubaix. Nous chantions le même jour, le 12 mars 2016, dans des lieux différents. Annie et Jean sont venus m'écouter chanter. Puis on s'est croisé à l'hôtel. Ils partaient, j'arrivais – ou l'inverse. Pas grave : je suis passé bouffer à Rivières, quelques jours plus tard…

Résumons le parcours.
- livres : 2 PJO, 2 Ipomée, 3 Cherche-midi... et auto-édition (un seul) , en janvier 2015 :  Concordance des chants (poèmes et chansons 1964-2014) : une intégrale de plus de 600 pages mais qui ne contient pas les textes du dernier disque : Saluts ! (paru en 2016)
- disques : Polydor, BAM,  Festival, RCA, puis Scalen, puis seul… (il a racheté ses bandes -  sauf Polydor).
Et aussi : Ogeret chante Vasca, produit par Luc Vidal (éd. du Petit véhicule).

Saluts !, en 2016, était le 26ème disque  - on y trouve ces vers :

Salut au chanteur Mohican
de la tribu des survivants
qui s'il chante assis nonobstant
reste debout droit dans son chant


Ca fait plaisir !

L'homme de Brive
Ll'homme de Brive, peinture de Kranec (Jean-Luc Juvin)
Et citons aussi la chanson Attendre un ami, dans laquelle on voit apparaître l'ami, à la porte, au dernier vers : « C'est l'homme de Brive ». C'est Jean-Max, évidemment...

En terminant, je signale les très bons livres de Fred Hidalgo - il reprend un long article de Paroles et musique du 22 sept 82 dans son livre Putain de chanson (Petit véhicule 1991) ; et Jacques Vassal (Français, si vous chantiez – Albin Michel, 1976). Mais il y en a d'autres évidemment.

Vasca est cité de nombreuses fois dans des livres sur les cabarets rive-gauche. Sur lui, il n'y a qu'un seul livre, celui de Jean-Pierre Nicol (Jean Vasca ou les métamorphoses du soleil – éditions Rétro-Viseur, 1994)

Ses écrivains ? Marcel Moreau surtout, dit-il. Et : Kenneth White, Guillevic, Le Clézio, Joseph Delteil, Claude Roy. Ses goûts hors chanson et poésie ?  Réponse d'Annie : « la cuisine et la fraternité !»… Peut-être ici le moment de faire cette citation : «  La gastronomie est une des formes supérieures du désespoir... » (Hidalgo p 463). En terminant, je veux saluer son intégrité absolue, un peu hautaine et bougonne, bon d'accord. Il est mort dans son sommeil le 21 décembre 2016. C'était mon ami.


Fin : on écoute Amis,  soyez toujours, par Vasca   


Jacques Bertin