Le jour baisse ; la pluie, à la clarté des lampes...








Le jour baisse. La pluie, à la clarté des lampes,
Scintille en longues larmes vertes aux carreaux.
Songe aux milliers de fronts penchés dans les bureaux,
A toute l’encre des villes, le soir, aux crampes,
Sur les plumes, de tant de mains. Songe, dis-toi
Avec quelle frénésie âpre, quelle foi
Tenace, électrisant la nuit qui l’enveloppe,
Elle s’exténue à vivre, la vieille Europe.

C’est l’heure où les chiffres fourmillent, noirs, petits,
Innombrables, crispés de hâte et d’appétits,
Où la foule aux guichets s’écrase, hagarde, ivre,
A croire que c’est du bonheur qui s’y délivre.
Et vois la rue. Ouvre ton cœur pour qu’y pénètre
Ce cri sourd dont tremblent les murs et la fenêtre,
Et tout ce qu’un brouillard sali de gaz, l’hiver,
Ce brouillard de capitale, contient d’amer.

Mais plains l’être surtout qui s’en va seul, perdu
Dans la cohue et, triste et si las pourtant, n’ose
Rentrer chez soi, n’étant de personne attendu,
Sans amour, sans un sein où sa tête se pose…

Triste frère ! sans doute en quelque chambre étroite,
Étouffante, il tournait, les yeux fous, la peau moite
De fièvre. Il était seul. Mais non, en chaque coin
Retrouvait d’anciennes douleurs et, dans la glace,
Toute sa vie avec ses rides, face à face.
A tâtons, par l’escalier sombre, il a fui loin
De lui-même. La rue… On marche, on a la foule,
Les lumières, les coups d’épaules où l’on roule.
Pitié pour les pauvres désirs traînant la jambe
De rue en rue, en ce long soir de juin qui flambe,
Pitié pour ces honteux, ces solitaires, pour
Tous les rôdeurs qui vont frôlant, flairant l’amour.

Oh, plains l’être surtout qui s’en va seul, perdu
Dans la cohue, et, triste et si las, pourtant n’ose
Rentrer chez soi, n’étant de personne attendu,
Sans amour, sans un sein où sa tête se pose…

Pitié pour les pauvres désirs traînant la jambe
De rue en rue, en ce long soir de juin qui flambe,
Pitié pour ces honteux, ces solitaires, pour
Tous les rôdeurs qui vont frôlant, flairant l’amour.

d'après François Porché (A chaque jour… - 1904)

Ce qui reste, ce qui vient